Que de retard pris sur l’actualité!
L’article dont je vous parle aujourd’hui a été publié le 13 août dans la revue Nature. Il présente le résultat du séquençage du génome de la pieuvre, Octopus bimaculoides, animal connu pour ses prouesses neurologiques. Les membres de cette famille de céphalopodes (sèches, pieuvres) sont des prédateurs particulièrement redoutables. Ils peuvent s’enorgueillir de posséder le système nerveux le plus développé des invertébrés, ainsi que de remarquables particularités morphologiques (des yeux camérulaires, huit bras préhenseurs, la capacité de changer la coloration de leur épiderme selon leur environnement). En outre, on leur connait des comportements élaborés : l’association pérenne des couples reproducteurs, la construction d’abris, la résolution de problèmes, l’apprentissage par observation ou encore la capacité de camouflage. Ces derniers sont favorisés par un système nerveux exceptionnel parmi les invertébrés (en taille comme en organisation), qui n’a à rougir en rien de la comparaison avec celui des vertébrés. Pourtant, ils sont très différents : alors que notre système nerveux est organisé de façon centralisée, celui de la pieuvre est eu contraire particulièrement décentralisé. Chacun de ses huit bras possède un système nerveux propre, autonome. Il leur permet de répondre de façon efficace et indépendante à l’environnement sans que soit nécessaire la communication avec le cerveau. Ce système est aussi complexe qu’il est riche et développé : une pieuvre possède en fait six fois plus d’axones (les prolongements des neurones, permettant d’assurer les liaisons entre ces cellules) qu’une souris!
On espérait découvrir, dans la séquence du génome de la pieuvre, quelques éléments pour expliquer ces remarquables particularités. Les chercheurs n’ont pas été déçus. La palette de gènes associés au développement embryonnaire et au système nerveux est globalement similaire à celle décrite chez les invertébrés bilatéraux. Mais le génome de la pieuvre se distingue de celui de ses parents par l’expansion de deux familles de gènes, expansion que l’on pensait jusqu’alors caractéristique des génomes vertébrés : les protocadhérines (régulateurs du développement nerveux) et des facteurs de transcription (contrôlant l’expression de certains gènes). Des gènes spécifiques montraient quant à eux une expression particulièrement élevée dans des structures spécialisées (la peau, le système nerveux, les ventouses). Enfin le génome de la pieuvre présente de nombreux réarrangements (on qualifie par ce terme les modifications de grande échelle dans les génomes, par déplacement de certaines régions, par la répétition de certaines séquences…). Ces différents aspects (développement important de certaines familles de gènes, expression spécifique d’autres et organisation à grande échelle) peuvent avoir joué un rôle dans l’évolution des céphalopodes, y compris dans celle de leur système nerveux particulièrement développé et complexe.
Plus généralement, les mécanismes implicitement dévoilés par ces observations offrent un bel exemple de ce que l’on appelle l’évolution convergente : des lignées distinctes (mollusques, vertébrés) évoluent vers des structures présentant de fortes similitudes (ici un système nerveux complexe) en partant de points de départ disjoints.
Albertin, C.B.; Simakov, O.; Mitros, T.; Yan Wang, Z.; Pungor, J.R.; Edsinger-Gonzales, E.; Brenner, S.; Ragsdale, C.W., and Rokhsar, D.S. The octopus genome and the evolution of cephalopod neural and morphological novelties. Nature. 13 August 2015.
http://www.nature.com/nature/journal/v524/n7564/full/nature14668.html
http://www.sciencedaily.com/releases/2015/08/150812134251.htm
http://oceanbites.org/philosopher-cephalopod-the-octopus-genome-reveals-the-origin-of-its-intellect/
http://sciencelife.uchospitals.edu/2015/08/12/octopus-genome-sequenced/#prettyPhoto
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