Pour reprendre le fil de mes histoires au rebond après un si long silence, je retourne à mes premières amours, Arabidopsis et la biologie végétale.
J’ai évoqué Arabidopsis thaliana, l’Arabette des dames, dans deux précédents billets (De robe pourprée et de verte nouveauté… et De la forme des fleurs). Cette fleur si discrète n’a fait l’objet que de peu d’attentions pendant des siècles. Elle n’est en effet ni suffisamment belle pour séduire les fleuristes, ni suffisamment nutritive pour intéresser les paysans, ni suffisamment toxique pour attirer les apothicaires (ou les sorcières).
Elle est pourtant devenue, en quelques décennies, la plante modèle des généticiens (la première conférence lui étant dédiée a été tenue a Göttingen, en Allemagne, en 1965). A l’instar de la drosophile ou de la souris, elle possède les qualités requises pour régner en laboratoire : une stature réduite (environ 10 cm de haut à l’état adulte), une durée de génération courte (de six à huit semaines « de graine a graine ») et un génome de petite taille (seulement cinq chromosomes pour approximativement 135 mégabases, environ cent fois moins que chez des plantes cultivées comme l’orge et le maïs). Très largement répandue a la surface du globe, elle présente de nombreux variants (les cultivars) et plusieurs centaines de mutations ont été répertoriées et étudiées.

Au delà de son intérêt en botanique, Arabidopsis a permis de déchiffrer des mécanismes moléculaires universels. Elle a ainsi été un modèle particulièrement important pour comprendre la méthylation de l’ADN et ses régulations.
Si je vous parle d’elle aujourd’hui c’est qu’elle a récemment fait l’actualité scientifique. Il est question de mutations, de sélection naturelle et de hasard. Au cœur des mécanismes du vivant.
En biologie et théorie de l’évolution, on considère que les mutations surviennent au hasard, quelles qu’en soient les conséquences, positives ou négatives. C’est la sélection qui explique ensuite que certaines deviennent plus (si elles ont un effet positif) ou moins (si elles ont un effet négatif) représentées dans une population. Cette proposition axiomatique a profondément marque l’étude de la diversité génétique et de l’évolution, et plus généralement tous les mécanismes biologiques. Ainsi, à l’échelle moléculaire, l’action conjointe de mutations aléatoires et de la sélection permet d’expliquer que les régions du génome portant des gènes importants pour la survie présentent un moindre pourcentage de variants génétiques.
Contredisant ce postulat, Monroe et al. ont récemment publié dans la revue Nature des résultats suggérant que, chez Arabidopsis thaliana, le taux de mutation est plus faible dans les régions du génome présentant une plus grande importance fonctionnelle.
Afin de s’affranchir des effets de la sélection naturelle qui opère avec le temps dans les populations naturelles, ils ont analysé les mutations (détectées par séquençage) dans une population obtenue par croisements successifs en laboratoire. Le taux de mutation mesuré à l’intérieur des gènes est 58 % moins important que dans les régions du génome (non codantes) qui les environnent immédiatement. Quand ils comparent les gènes entre eux, ce taux de mutation est 37 % inférieur dans les gènes dits essentiels (indispensables pour la survie et la reproduction) comparé a celui des gènes non-essentiels.
Quels mécanismes pourraient expliquer ce résultat? Les auteurs ont remarqué que le taux de mutations dans une région donnée est corrélé avec certaines caractéristiques moléculaires : le pourcentage de nucléotides guanine ou cytosine et certaines modifications épigénétiques (affectant l’activité des gènes sans en changer la séquence). Simple corrélation ou contrôle directe des mécanismes de régulations des mutations de l’ADN? La question n’est pas résolue.
La plupart des plantes sont hermaphrodites, elles ont des organes sexuels males et femelles. Elles peuvent donc théoriquement se reproduire sans qu’il y ait échange de matériel génétique entre deux individus. On parle d’autofécondation pour caractériser les plantes qui se reproduisent ainsi. Elles sont en fait assez rares dans le règne végétal. Arabidopsis est l’une d’entre elle. Les auteurs ont comparé le profil de mutation de l’Arabette avec celui d’une autre plante modèle, qui ne se reproduit pas par autofécondation : Populus trichocarpa (le Peuplier de l’ouest). Les profils des taux de mutation mesurés en fonction de la fonctionnalité des régions du génome de ces deux espèces sont de façon surprenante très proches.
Les résultats de ces recherches soulèvent beaucoup de questions. Les réponses à suivre seront particulièrement intéressantes. Elles permettront plus certainement un ajustement du modèle présidant aux mécanismes de l’évolution plutôt qu’une révolution.
J’arrête ici les considérations moléculaires et théoriques pour m’intéresser un peu au Peuplier de l’Ouest. J’ai introduit cet article en donnant toute gloire à Arabidopsis. Il est juste de donner un peu de lumière à cette autre plante, qui est devenu depuis peu un autre modèle en génétique et botanique. Ce n’est pas si commun pour un arbre et c’est pourtant bien mérité.

Populus trichocarpa presente plusieurs qualités qui font de lui un remarquable arbre modèle : une taille de génome relativement faible (même si Arabidopsis reste imbattable en la matière, je vous l’accorde), une croissance rapide pour un arbre, une maturité reproductive en 4-6 ans et une grande diversité phénotypique et génétique.
L’espèce a ainsi largement été étudiée et son génome séquencé en 2006.

Note un peu plus personnelle… Le Peuplier de l’Ouest est un arbre de la côte ouest du continent américain (de l’Alaska à la péninsule de la Baja California). C’est donc un arbre que je peux croiser lors de mes promenades californiennes.
Et il fait écho aux peupliers de mon enfance, qui bordaient les rives de la Loire.
Pour clore ce billet, je laisse la place à un autre dialogue fameux entre un arbre et une herbe. En science, comme en littérature, tous ont leur mot à dire.
Le Chêne et le Roseau
Le Chêne un jour dit au Roseau :
« Vous avez bien sujet d’accuser la Nature ;
Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau.
Le moindre vent, qui d’aventure
Fait rider la face de l’eau,
Vous oblige à baisser la tête :
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d’arrêter les rayons du soleil,
Brave l’effort de la tempête.
Tout vous est Aquilon, tout me semble Zéphyr.
Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n’auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrais de l’orage ;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des Royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste
Votre compassion, lui répondit l’Arbuste,
Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci.
Les vents me sont moins qu’à vous redoutables.
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin. « Comme il disait ces mots,
Du bout de l’horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L’Arbre tient bon ; le Roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au Ciel était voisine
Et dont les pieds touchaient à l’Empire des Morts.

Livre premier, fable XXII
Dessin de Gustave Doré, gravure sur bois d’Adolphe Pannemaker et Albert Doms.
Tiré à part d’une gravure sur bois, 23,5 x 18,7 cm.
Épreuve d’une planche hors texte destinée à illustrer les Fables de Jean de La Fontaine avec les dessins de Gustave Doré.
Louis Hachette (Paris), 1867. 2 vol. Tome 1, p. 52.
BnF, département des Estampes et de la Photographie, DC-298 (I)-FOL
© Bibliothèque nationale de France
Références
Monroe et al., Mutation bias reflects natural selection in Arabidopsis thaliana., Nature, January 12, 2022.
Jianzhi Zhang, Important genomic regions mutate less often than do other regions, Nature, January 12, 2022.
https://plants.ensembl.org/Populus_trichocarpa/Info/Annotation/
Stefan Jansson and Carl J. Douglas, Populus: A Model System for Plant Biology, Annual Review of Plant Biology, 2 June 2007.
The Genome of Black Cottonwood, Populus trichocarpa, Science, 15 Sep 2006.
Magnifique billet
Ça valait le coup de continuer vos chroniques
Merci beaucoup!