“Now, here, you see, it takes all the running you can do, to keep in the same place. If you want to get somewhere else, you must run at least twice as fast as that!”
Lewis Carroll, Through the Looking-Glass
« Ici, vois-tu, on est obligé de courir tant qu’on peut pour rester au même endroit. Si tu veux te déplacer, tu dois courir au moins deux fois plus vite ! »
Lewis Carroll, De l’autre côté du miroir.
Voici un passage de l’ouvrage de Lewis Carroll, De l’autre côté du miroir (qui fait suite aux célèbres Aventures d’Alice au pays des merveilles), décrivant une scène où Alice est entraînée par la Reine rouge en une une course effrénée pour simplement… rester au même endroit. Elles ont beau courir, le paysage autour d’elles ne change pas.
En 1973, le chercheur américain Leigh Van Halen, qui étudie l’évolution des espèces, utilise cette métaphore pour illustrer la notion de coévolution. Par l’évolution (le changement, donc la course) un organisme s’adapte à son environnement (les autres espèces avec lesquelles cet organisme interagit). Mais cet environnement évoluant aussi de son côté, l’adaptation n’est maintenue que si l’organisme continue à évoluer. C’est la théorie de la Reine Rouge : elle est tout particulièrement utile pour comprendre l’évolution des génomes des organismes établissant des associations plus ou moins pérennes (parasitisme en premier lieu, mais aussi mutualisme et symbiose). Une fleur et son pollinisateur. Un parasite et son hôte. Une algue et un champignon (association symbiotique évoquée dans Ménage à trois….)…
Un article récent en donne un nouvel exemple. Les auteurs ont séquencé les génomes de sept espèces de fourmis, parmi lesquelles trois ont établi une relation mutualiste avec une plante et quatre non (bien que très proches génétiquement des autres). Certaines espèces de fourmis peuvent en effet établir des relations de mutualisme (bénéfices réciproques) avec des plantes : les hôtes végétaux fournissant les nids où les insectes peuvent pondre leurs œufs et les fourmis quant à elles les protègent des herbivores (je vous en avais parlé dans Solanum). Des couples fourmis/plantes (souvent très spécifiques) sont ainsi créés. Parmi les espèces de fourmis du genre Pseudomyrmex, décrites dans l’article, on compte des mutualistes (nichant dans les acacia). Elles se caractérisent par des comportements particulièrement agressifs (patrouillant et attaquant les herbivores des acacias qu’elles protègent). Les espèces non-mutualistes de Pseudomyrmex, généralistes et non associés à un hôte spécifique, vivent dans le même environnement, mais présentent un comportement tout à fait différent (de fuite face aux agresseurs).
La comparaison des séquences des génomes de ces différentes espèces a permis ici de montrer que les taux d’évolution moléculaire (le nombre ou plutôt la fréquence des changements dans la séquence d’ADN) sont beaucoup plus grands chez les espèces mutualistes.
Cela suggère donc bien que les relations d’association (ici le mutualisme obligatoire) peuvent créer des pressions de sélection telles que les taux d’évolution augmentent.
Pour rester au même endroit (ici maintenir l’association) il faut donc bien courir…
Comparative genomics reveals convergent rates of evolution in ant–plant mutualisms. Benjamin E. R. Rubin & Corrie S. Moreau, Nature Communications 7, 25 août 2016.
http://www.nature.com/articles/ncomms12679
Illustrations
Alice Running Hand in Hand with the Red Queen, Through the Looking Glass, Illustration de Sir John Tenniel, 1871.
Alice…
https://ebooks.adelaide.edu.au/c/carroll/lewis/looking/chapter2.html
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