Si une discussion vous a un jour amené à prononcer le mot ornithorynque, il est fort à parier qu’elle ne devait pas être très sérieuse. Il est temps de corriger cette injustice.
Ce petit mammifère fait l’objet de recherches on ne peut plus importantes. Elles pourraient participer à la lutte contre les résistances antibiotiques (question abordée dans le billet Des guerres micro-cholines). Je vais vous en dire ici quelques mots.
L’ornithorynque est un mammifère semi-aquatique vivant dans l’Est de l’Australie et en Tasmanie. C’est l’une des cinq espèces de l’ordre des monotrèmes (les seuls mammifères qui pondent des oeufs). Il a longtemps été l’objet de la curiosité et de l’étonnement des naturalistes. Il faut bien reconnaître son originalité : il pond des œufs, a un bec de canard et une queue de castor. Le mâle porte un aiguillon sur les pattes postérieures qui peut libérer du venin capable d’infliger de vives douleurs. Il partage cette venimosité avec très peu de mammifères. Les particularités de l’ornithorynque sont un sujet d’études important pour les chercheurs étudiant l’évolution des espèces animales. On retrouve même ses bizarreries décrites dans les ouvrages pour enfants au XIXème siècle… « Voilà l’un des animaux les plus singuliers de la classe des mammifères… »
Le texte de ce vieil ouvrage éducatif présente une erreur toutefois. Non l’ornythorinque n’est pas vivipare et oui, il pond bien des œufs! Il faut dire aussi qu’il brouille les pistes : il pond des oeufs, n’a pas de placenta (ne porte donc pas ses petits), mais il produit du lait. Une bizarrerie de l’évolution, vous dis-je…
C’est de ce lait particulier dont nous allons parler aujourd’hui. En 2010, les scientifiques ont découvert que le lait de l’ornythorinque possédait de très bonnes propriétés antibiotiques. En y regardant de plus près ils ont identifié la protéine responsable de cette activité, uniquement présente dans le lait des Monotrèmes : la Monotreme lactation protein (ou MLP).
Pour déterminer l’origine des propriétés particulières de MLP, une équipe de recherche australienne en a étudié la structure. En effet, les protéines sont des macromolécules composées de nombreux acides aminés liés les uns aux autres. Ces différents éléments s’organisent dans l’espace de façon ordonnée. Ils construisent une structure particulière qui détermine les propriétés et le fonctionnement de la protéine. Il est donc très intéressant d’avoir accès à cette structure pour comprendre la fonction de MLP. La taille des protéines est de l’ordre de quelques dizaines à plusieurs centaines d’angströms (un dix-milliardième de mètre, 1 Å = 10 – 10 mètre). Même si les protéines sont des molécules de très grande taille, on ne peut pas « voir » une protéine et sa forme sous un microscope!
On arrive à connaître la forme d’une protéine dans l’espace en 3D, en étudiant ses propriétés de diffraction des rayons X quand elle est sous forme de cristal. Cette technique est appelée cristallographie aux rayons X (radiocristallographie). Le cristal est un état solide ordonné : les protéines (identiques) qui le composent sont empilées d’une façon périodique et régulière dans les trois directions de l’espace. Du fait de cette régularité, on peut déduire de la façon dont le cristal diffracte les rayons X la structure de la molécule de protéine qui le compose.
Évidemment, ce travail prend plus de temps pour donner un résultat qu’il n’en faut pour expliquer la cristallographie. Produire des cristaux de protéines analysables n’est pas une mince affaire… Mais ce n’est pas notre histoire.
Le laboratoire Collaborative Crystallisation Centre (C3), à Melbourne, s’en est chargé pour nous. Ses chercheurs ont produit une grande quantité de protéine MLP et obtenu un cristal permettant de déchiffrer sa structure 3D.
Ils ont découvert une structure très originale en regard des structures de protéines connues. Originalité que les auteurs mettent en relation avec la lactation très particulière du monotrème. Selon Janet Newman, principal auteur de ce résultat,« Platypus are such weird animals that it would make sense for them to have weird biochemistry, » (Les ornythorinques sont des animaux si bizarres qu’il n’est guère étonnant qu’ils aient une biochimie bizarre).
Les ornythorinques n’ayant pas de tétons, le lait de la mère se répand sur son ventre et imbibe les poils que le petit peut sucer. Le lait est donc libéré dans l’environnement avant d’être léché. Cette caractéristique est particulièrement propice aux infections bactériennes et fragilise les petits. Une contrainte qui a probablement conduit à la sélection de cette protéine originale, aux propriétés antibiotiques inhabituellement puissantes.
Cette découverte présente donc des intérêts fondamentaux indéniables, pour les chercheurs intéressés par l’organisation structurale des protéines, ou pour ceux qui s’attachent à comprendre l’évolution des mammifères.
Mais elle pourrait aussi fournir une arme de choix dans la lutte contre la résistance antibiotique. La résistance antibiotique est une menace et un monde « post-antibiotique » verrait les infections communes maintenant curables redevenir mortelles.
Cela suffit à considérer MLP et l’ornithorynque avec la plus grande attention et le plus sérieux respect.
Référence
Structural characterization of a novel monotreme-specific protein with antimicrobial activity from the milk of the platypus, Newman J. et al. , Acta Crystallogr F Struct Biol Commun. janvier 2018.
Et pour en savoir plus sur l’ornithorynque….
… son génome, ses dix chromosomes, sa toxicité, sa capacité d’électro-localisation, son oviparité, sa lactation, vous pouvez cliquer ici :
L’ornithorynque, preuve que Darwin a de l’humour, article du blog de David Louapre.
Genome analysis of the platypus reveals unique signatures of evolution, article de Nature.
De la complexité sexuelle de l’ornithorynque, article de Sciences et Avenir.
Le génome de l’ornithorynque. À la croisée des chemins, article de Medecines/sciences.
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