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Ce n’est pas d’un résultat dont je vais vous parler aujourd’hui, mais d’une série de résultats, publiés cette dernière semaine, qui bien que très différents les uns des autres, partagent la même origine technologique. En effet, quatre différentes études ont été récemment publiées, qui nous racontent des histoires vieilles de quelques millénaires (3000, 8000 ans, 19000 ans…) reconstruites à partir de données issues des techniques modernes de biologie moléculaire et de génomique. Les deux premières présentées dans le même numéro de la revue Nature (11 juin 2015) nous racontent les migrations des populations eurasiennes de l’âge de bronze, la seconde l’origine de l’homme de Kennewick (Nature, 18 juin 2015) et la troisième une analyse phylogénétique du génome mitochondrial du bison des steppes (PLOS, 17 juin 2015).

L’âge de bronze était il une période de changement culturel majeur grâce à la circulation des idées ou grâce à des migrations de grande échelle ? Une première étude (Population genomics of Bronze Age Eurasia) présente des résultats appuyant la deuxième hypothèse. En effet, le séquençage de 101 génomes d’individus ayant vécu en Eurasie à cette période met en évidence des migrations importantes de populations. L’analyse détaillée de certaines régions génomiques permet de conclure que la peau claire était déjà fréquente à l’âge de bronze, alors que la tolérance au lactose l’était encore peu. Dans une deuxième étude (Massive migration from the steppe was a source for Indo-European languages in Europe), ce sont les données génétiques issues de 69 individus européens ayant vécu entre – 8000 et – 3000 ans qui ont été compilées. Comme la précédente, elle révèle des déplacements de populations de l’âge de bronze en Europe. Les européens de l’Ouest et de l’Est auraient été en contact il y a environ 4500 ans, laissant dans les européens actuels des traces génétiques provenant de leurs ancêtres arrivés des steppes. Cette étude apporte ainsi des éléments supportant l’origine orientales d’au moins certaines langues indo-européennes.

Le squelette de l’Homme de Kennewick a été découvert en 1996, près du fleuve Columbia à côté de la ville de Kennewick (état de Washington). Son âge a été évalué à 9000 ans par datation au carbone 14. Le squelette, un des plus complets jamais excavé en Amériques, a été l’objet de nombreuses analyses anthropométriques. Elles laissaient penser que cet individu pourrait avoir des origines européennes (caucasoïdes). Manquait cependant l’analyse génétique pour corroborer cette hypothèse.  Des essais avaient été tentés dans les années 1990 et 2000 ; ils sont restés infructueux… jusqu’à très récemment. L’équipe de Eske Willerslev (Natural History Museum of Denmark, University of Copenhagen) a en effet obtenu des extraits ADN issus d’os de la main, à partir desquels ils ont reconstruits le génome et l’ont séquencé. De multiples comparaisons de séquences (issus d’individus d’origines géographiques variées), ont permis de déterminer que l’Homme de Kennewick partagent plus de gènes avec les améridiens qu’avec tout autre groupe humain actuel. Ce qui clôt le vieux débat de son origine, en contredisant les précédents résultats anthropométriques.

L’intégralité du génome mitochondrial d’un spécimen de bison des steppes, a été séquencé à partir d’un fragment osseux datant de 19 000 ans et provenant de la grotte des Trois-Frères (Ariège). Les cellules des eucaryotes contiennent plusieurs génomes : non seulement le génome nucléaire mais également des génomes plus réduits dans les organites (chloroplastes et mitochondries). La séquence de l’ADN mitochondrial (ADNmt) est l’objet de très nombreuses études de génétique moléculaire des populations. Il a en effet de nombreux atouts : son évolution est facile à modéliser puisqu’il n’est transmis que par la mère, sans recombinaison préalable avec l’ADNmt paternel.  En outre, il mute beaucoup plus vite que l’ADN nucléaire. Il est donc très variable d’un individu à un autre, et d’une population à une autre et permet donc d’étudier de façon précise les liens de parenté entre ces dernières. Le bison des steppes (Bison priscus), aujourd’hui éteint, était un bovidé abondant durant l’ère glaciaire, de l’Angleterre à l’Amérique et du nord de la Russie à l’Espagne. Il a souvent été représenté par les premiers hommes modernes (grottes ornées de Chauvet, des Trois-Frères en France, ou celle d’Altamira en Espagne). L’analyse phylogénétique de son génome d’ADNmt montre sa proximité génétique avec le bison d’Amérique du Nord (Bison bison).

La coïncidence  de ces différentes publications n’est pas que pur hasard. Si ces études arrivent à nous en même temps, c’est sans doute parce qu’un même facteur les a rendues possibles. Un verrou technique a été levé  (problème de conservation des échantillons, de leur contamination par des ADN étrangers, sensibilité des mesures), ouvrant la voie à l’étude génétique d’échantillons jusque là inutilisables. Nul doute que cela augure de nombreuses autres découvertes…

Origines, migrations, parenté… autant de mystères que la génomique pourra aider à éclaircir

Pour aller plus loin :

Sur l’homme de Kennewick :

http://www.nature.com/nature/journal/vnfv/ncurrent/full/nature14625.html

http://www.smithsonianmag.com/science-nature/genome-analysis-links-kennewick-man-native-americans-180955638/?no-ist

Sur l’âge de bronze en Europe :

http://www.nature.com/nature/journal/v522/n7555/full/522164a.html

http://www.nature.com/nature/journal/v522/n7555/full/nature14317.html

http://www.nature.com/nature/journal/v522/n7555/full/nature14507.html

http://www.nytimes.com/2015/06/16/science/dna-deciphers-roots-of-modern-europeans.html?_r=1

Sur le génome mitochondrial de bison des steppes 

http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0128267

http://www2.cnrs.fr/presse/communique/4105.htm

http://ibitecs.cea.fr/dsv/ibitecs/Pages/services/sbigem/ltg/elalouf-paleogenomique.aspx

2 réflexions sur “Le temps retrouvé

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  2. Pingback: Le côté de Neandertal | Ricochets

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