Deuxième volet de la trilogie…
L’actualité m’amène à évoquer aujourd’hui un autre trouble neurologique particulièrement complexe, la schizophrénie. Une étude, publiée dans la revue Nature le 27 janvier en propose, pour la première fois une explication biologique.
La schizophrénie, qui se traduit par des hallucinations et des délires menant à la perte du contact avec la réalité, se déclare le plus souvent à l’adolescence, entre 15 et 25 ans. Elle présenterait un déterminisme génétique fort, même si, encore une fois, les chercheurs n’imaginent pas trouver « le » gène de cette pathologie mentale comme on a identifié celui de la mucoviscidose ou de l’hémophilie. Multifactorielle, multiforme et polygénique, elle échappait encore jusque là au crible génétique. Pourtant, les études familiales montrent l’existence d’une concentration familiale de la schizophrénie : le risque global d’occurrence de cette maladie dans une fratrie qui présente un cas avéré est de 10 % (contre 1 % dans la population générale). Et, on a peu à peu isolé des portions du génome qui pourraient être touchées dans ces populations à risque.
Ainsi, l’équipe de recherche d’un laboratoire de la Harvard Medical School à Boston a concentré ses efforts sur le locus du complexe majeur d’histocompatibilité, une région du génome de plusieurs millions de bases d’ADN sur le chromosome 6. Une précédente étude, publiée par la même équipe en 2014, avait associé cette portion du génome avec la schizophrénie. Ce complexe comprend plusieurs protéines qui facilitent la réponse immunitaire, par exemple en marquant les bactéries invasives que le système immunitaire doit détruire. Le locus MHC comprend quatre variants différents d’un gène appelé C4, produisant les protéines C4-A et C4-B. En analysant les génomes de plus de 64000 personnes (pour moitié saines et pour moitié atteintes de la maladie), les chercheurs ont montré que les personnes touchées par la schizophrénie possédaient plus fréquemment que les sujets contrôles une forme suractivée de la protéine C4-A.
Quel peut être le lien entre C4-A et une affection neurologique? Les pièces du puzzle s’assemblent en fait parfaitement bien. On a montré que cette protéine est naturellement présente dans le cerveau, où elle est impliquée dans « l’élagage synaptique », c’est à dire l’élimination des synapses (connexions) les moins efficaces entre les neurones (processus qui se déroule normalement durant l’adolescence, période de plasticité et remaniement importants). La suite est donc logique : pour les auteurs, trop d’activité de la protéine C4-A impliquerait donc trop d’élagage ou un élagage incontrôlé. Ce mécanisme étant particulièrement actif dans le cortex préfrontal au cours de l’adolescence, l’étude permet d’expliquer pourquoi la maladie apparaît le plus souvent au début de l’âge adulte et pourquoi les personnes atteintes présentent un cortex préfrontal plus mince.
Ce résultat permet donc d’expliquer de façon simple certains des symptômes de la maladie. Il ouvre des pistes de recherche immenses, donne l’espoir de pouvoir détecter et diagnostiquer plus précocement les personnes à risque. Mais la perspective de pouvoir traiter les patients en modifiant l’activité de C4 est encore très éloignée : on ne taille pas les synapses du cerveau sans prendre beaucoup de précautions, tant cet élagage est un mécanisme dont les régulations (dans le temps et l’espace) sont fines. C4 est un jardinier dont l’inconstance est dévastatrice.
Schizophrenia risk from complex variation of complement component 4. Aswin Sekar et al. Nature, 27 January 2016.
Sur l’étude en question…
http://www.nature.com/nature/journal/vaop/ncurrent/full/nature16549.html
Sur la schizophrénie…
Et sur Igor Morski, auteur de l’image d’illustration,
http://www.igor.morski.pl/work/