« Printemps, été, automne, hiver… et printemps » est un très beau film coréen de Kim Ki-duk, qui m’avait particulièrement touché, à sa sortie, en 2003. Il semble si juste d’en emprunter le titre pour évoquer le résultat dont je vais vous parler aujourd’hui… Les saisons qui défilent et la patience orientale… Qualités dont témoignait déjà le billet Oeuvre au noir en évoquant des recherches génétiques sur la drosophile, menées dans un laboratoire japonais, pendant plus de 60 ans.
Mais, c’est de changement climatique dont il est question aujourd’hui…
Chaque hiver, la surface du lac Suwa situé au centre de la préfecture de Nagano au Japon, gèle entièrement. Les années de grand froid, quand la température extérieure se maintient plusieurs jours d’affilée en deça de -10°C, la glace craque, se fendille et finit par créer une sorte de crête de glace qui en parcourt toute la surface. Ce phénomène est appelé Omiwatari (Traversée du Dieu). Les moines Shinto, qui vivent au bord du lac, notent la date de son apparition, qu’ils utilisent pour prédire le temps qu’il fera au printemps suivant. Ils maintiennent cette tradition depuis 1443, et ont ainsi construit 600 ans de données climatiques. Leurs enregistrements, qui incluent la date du jour où le lac commence à geler et le nombre de jours qui la sépare de celle de la formation de la crête, sont les plus anciens connus.
Aujourd’hui, les scientifiques peuvent les utiliser pour étudier les changements de la météorologie hivernale dans cette région (et les corréler à des événements historiques ou des mesures telles que le taux de CO2). Ils peuvent ainsi construire un modèle expliquant comment les activités humaines ont influencé les hivers japonais.
Le 26 avril, une équipe de chercheurs américano-japonaise a publié dans la revue Nature un article dans lequel sont analysées les données du lac Suwa, qu’ils ont comparées à des données similaires enregistrées pour la rivière Torne, qui court entre la Suède et la Finlande. Ces derniers enregistrements remontent au XVIIème siècle, à l’année 1693, alors qu’un commerçant du nom de Olof Ahlom commence a noter et conserver la date où, chaque année, les glaces de la rivière commencent à fondre. Ses successeurs dans le négoce ont ensuite maintenu vivante cette tradition (la rivière étant importante pour le commerce et le transport ou même la nourriture et les loisirs des populations locales).
En étudiant les deux lots de données parallèlement, les chercheurs ont montré que, depuis la Révolution Industrielle, les deux étendues d’eau, le lac comme la rivière, étaient prompts à geler plus tard, fondre plus tôt et donc, à avoir une période en glace plus courte.
L’effet du réchauffement climatique est manifeste : le lac Suwa est resté sans geler 12 fois durant une période de 55 ans comprise entre 1950 et 2004, comparé à seulement trois fois de 1443 à 1700 (soit en 255 ans). Quant à la rivière Torne, elle a vu 9 années particulièrement chaudes dans la période de 14 ans comprise entre 2000 et 2013, contre seulement 10 dans les 207 ans qui séparent 1693 de 1899.
Des moines et des marchands. L’Orient et l’Occident s’opposent. Les saisons. L’homme et la nature… L’observer, la craindre… ou l’utiliser. Il semblent même que les tableaux de Hokusai et de Brueghel en parlent.
Cette étude les rassemblent pourtant… et les changements sont globaux …
Références
Direct observations of ice seasonality reveal changes in climate over the past 320–570 years. Sapna Sharma et al. Scientific Reports, 26 april 2016.
http://www.nature.com/articles/srep25061
For 600 years, Japanese monks have recorded climate data that scientists are using today
http://ninistan.com/le-match-les-lacs-geles-vus-par-pieter-bruegel-lancien-vs-katsushika-hokusai/
Illustrations
Katsushika Hokusai, Crossing the Ice on Lake Suwa in Shinano Province, 1834.
Pieter Brueghel ( dit l’ancien), Paysage d’hiver avec patineurs et trappe aux oiseaux, 1565.
Bonjour,
Je me suis permis de reprendre une grande partie de votre article en qui j’ai trouvé un excellent complément à l’information de S&V parue dans leur dernier numéro concernant le lac Suwa.
J’ai également ajouté votre site dans ma bloglist dédiée à la science, je pense qu’il en vaut la peine !