Bleue comme une feuille de bégonia…
Des chercheurs des universités de Bristol et Essex ont résolu le mystère de la coloration bleue arborée par les feuilles de Begonia pavonina. Mystère qu’ils ont démasqué dans la structure de leur chloroplastes. C’est à dire les petits éléments, à l’intérieur des cellules, qui réalisent la photosynthèse. Ils ont pour fonction de récolter l’énergie lumineuse et de l’utiliser pour synthétiser des molécules, réservoirs énergétiques – amidon, sucres, que nous détournons souvent pour notre propre consommation. Vous connaissez tous le pigment qui assure cette prouesse si importante pour l’ensemble de la vie terrestre. C’est la chlorophylle. Pigment qui absorbe les lumières rouges et bleues et renvoie la lumière verte. La chlorophylle est donc verte, comme les feuilles qui la produisent. Les chloroplastes de Begonia pavonina ne sont pourtant pas dépourvus de chlorophylle et sont tout à fait capables de photosynthèse. Il semble même être particulièrement efficaces à cet exercice-là. Comment expliquer ces reflets, alors? Et quelle est leur fonction?
La fonction biologique de cet éclat bleu était en effet jusqu’à présent mystérieuse. Repousser les prédateurs? Protéger la feuille contre une lumière excessive? Aucune hypothèse n’a été vraiment concluante. Quelques premières observations ont guidé les chercheurs vers une piste toute différente. En effet, les feuilles ne présentent cet éclat que lorsqu’elles sont placées dans des conditions de lumière faibles. En pleine lumière, il disparaît peu à peu. Et c’est en regardant les feuilles sous un microscope que les chercheurs ont finalement approché la réponse.
« Nous avons découvert, sous microscope, que les chloroplastes réfléchissaient intensément la lumière bleue, presque à la manière d’un miroir. En y regardant de plus près, en utilisant la technique de microscopie électronique – qui offre des agrandissement beaucoup plus importants et permet ainsi de voir les structures fines à l’intérieur des cellules – nous avons trouvé une différence flagrante entre les chloroplastes « bleus » trouvés chez le Begonia et ceux habituellement présents dans les plantes. Ces chloroplastes originaux ont été baptisés iridioplastes, en référence à leur couleur bleue iridescente. Ils présentent une structure interne organisée en couches membranaires très régulières de seulement quelque centaines de nanomètres d’épaisseur – un millième du diamètre d’un cheveux! »
La coloration bleue des feuilles de pavonina est donc iridescente… C’est à dire?
On parle d’iridescence ou encore de goniochromisme, quand une surface paraît changer de couleur selon l’angle sous lequel on la regarde ou selon l’angle selon lequel elle est éclairée. Lorsque les couleurs sont celles de l’arc-en-ciel, il s’agit de l’irisation (ce n’est donc pas le cas de B. pavonina). L’iridescence est très répandue dans le monde animal. De nombreux coléoptères et papillons, poissons et oiseaux lui doivent leurs magnifiques couleurs. C’est aussi le phénomène observé sur une une bulle de savon ou une tâche d’huile. Mais elle est beaucoup moins étudiée chez les végétaux. Les interférences lumineuses occasionnées par l’organisation structurale en lames minces expliquent le plus souvent l’iridescence. Ainsi l’agencement des molécules en nanostructures très régulières est responsable des couleurs et reflets irisés des écailles de papillons, de poissons ou de la nacre. Chez les oiseaux, c’est le réseau de barbules des plumes qui est responsable du phénomène. On parle encore, pour qualifier l’organisation particulièrement régulière de ces structures, de cristaux photoniques. De nombreuses recherches sont actuellement menées pour produire des matériaux et des fibres sur le même principe, de manière à exploiter leurs intéressantes propriétés optiques.
Chez B. pavonina, c’est l’empilement très régulier de membranes (au nom savant de thylakoïdes, du grec thylakos, sac) observé en microscopie électronique qui constituent les cristaux photoniques. Ils réfléchissent fortement la lumière bleue, donnant ainsi aux feuilles leur reflet iridescent. Les auteurs de l’article ont par ailleurs montré que ces structures améliorent l’efficacité de la photosynthèse de deux façons. En augmentant la collecte de lumière verte (prédominante en condition ombragée). Et en augmentant le rendement de la photosynthèse de 5 à 10%, en condition de faible lumière.
Cela leur offre un avantage de taille pour survivre dans leur environnement naturel particulièrement sombre que sont les sous-bois malaisiens (Cameron Highlands).
Ce mécanisme dépasse probablement l’anecdote de cette plante de fleuriste…
La vie est bleue, aussi, parfois.
Pour aller plus loin
L’article en question…
Photonic multilayer structure of Begonia chloroplasts enhances photosynthetic efficiency. Matthew Jacobs et al. Nature Plants 2, 24 octobre 2016.
http://www.nature.com/articles/nplants2016162
http://www.sciencemag.org/news/2016/10/blue-leaves-help-plants-get-extra-energy-sun
Les couleurs dans la nature…
http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/doschim/decouv/couleurs/loupe_couleurs_animaux.html
Les cristaux photoniques
http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/doschim/decouv/couleurs/loupe_chri_photo.html
http://optoelectronics.eecs.berkeley.edu/photonic_crystals.html
Cliquer pour accéder à eliy_SCIAM.pdf
Les chercheurs cherchent encore…
http://labex-bcdiv.mnhn.fr/projetmission/iridescence-quels-signaux-pour-communication-chez-colibris
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