Est-il des artistes ou des poètes pour nous parler de virus, comme il en est pour évoquer les fleurs?
Je n’en ai trouvé aucun, vous n’en serez pas très surpris. Ils sont pourtant, à bien des égards, source de multiples émotions. Fascinants, mystérieux… terrifiants aussi. Si vous les connaissez, c’est par les épidémies qu’ils sont capables d’engendrer…, SIDA, Zika, Ebola, Grippes…
Pour les biologistes, qui les placent à la frontière du monde vivant, ils sont l’objet de toutes les attentions. D’une diversité de formes, de taille et de nature probablement encore insondée, ils ne se multiplient que s’ils peuvent s’associer à leur hôte (leur « victime »). Les virus précédemment cités touchent l’homme (ou les oiseaux ou le porc), mais aucun des membres du monde vivant n’est épargné : bactéries, végétaux, champignons… tous possèdent « leurs » virus propres (bactériophages, phytovirus, mycovirus…).
Découverts à la toute fin du XIXe siècle, ils réservent encore de nombreuses surprises. C’est de travaux publiés le 10 mars dans la revue Nature, et portant sur un des derniers virus isolé, le Mimivirus, dont je vais vous parler aujourd’hui.
Une question de taille
La plupart des virus sont de taille microscopique, encore plus petits que les bactéries. Le critère de taille est d’ailleurs centrale dans leur définition depuis la découverte du premier d’entre eux en 1892. Alors, Dimitri Ivanovski, professeur à l’université de Saint-Pétersbourg, découvre que l’agent de la maladie de la mosaïque du tabac n’est pas retenu par le filtre en porcelaine mis au point par Charles Chamberland dans le laboratoire de Louis Pasteur (le test alors utilisé pour prouver la présence d’un microbe responsable d’une infection). Cet agent se révèle également incultivable et reste invisible aux microscopes de l’époque. C’est donc par trois propriétés négatives que l’on définit d’abord les virus. Leur observation par les premiers microscopes électroniques en 1939 a permis de mettre en évidence de petites particules, souvent de forme régulière, avec des dimensions allant de 20 nanomètres à 200 nanomètres : inférieures à la fois à la taille de la plupart des bactéries (de l’ordre de quelques micromètres) et à la porosité moyenne des filtres utilisés pour la stérilisation. C’est sans doute une des raisons qui a longtemps retardé la découverte des virus géants : retenus par les filtres, ils ne répondaient pas à la définition initiale. Parmi ceux-ci, Mimivirus (contraction de Mimicking microbe virus, c’est-à-dire « virus imitant un microbe »), est un virus à ADN géant infectant une amibe, découvert très récemment (en 1992) dans une tour de climatisation industrielle à Bradford, en Angleterre. Il a d’abord été assimilé à une bactérie (Bradford coccus) et sa nature virale n’a été démontrée qu’en 2003 à l’Université de la Méditerranée à Marseille.

Mais pas seulement…
Depuis leur découverte, les virus géants ont dévoilé des caractéristiques uniques, qui remettent en question la définition conventionnelle des virus : un génome de grande taille et complexe (dont la séquence complète a été publiée en 2004), l’infection par d’autres virus (virophages) et la présence d’éléments transposables courts (les transpovirons).
Les auteur de l’article qui a éveillé ma curiosité sur ces « drôles de bêtes » ont étudié la sensibilité de Mimivirus à l’infection virophage. Ils ont observé une résistance lignée spécifique envers Zamilon, un virophage qui peut infecter les lignées B et C de Mimivirus, mais pas la lignée A. Pour expliquer cette spécificité, les auteurs ont émis l’hypothèse que Mimivirus possédait un mécanisme de défense ressemblant au système Cas-CRISPR (clustered regularly interspaced short palindromic repeat) présent chez les bactéries et les archéobactéries. En effet, les souches de la lignée A (qui sont résistantes à Zamilon) contiennent une insertion de séquences répétées de Zamilon dans un operon qu’il ont appelé ‘mimivirus virophage resistance element’ (MIMIVIRE). Des analyses complémentaires des séquences environnantes ont montré que ce locus ressemble effectivement au mécanisme de défense CRISPR-Cas. Inhiber le fonctionnement de ces séquences répétées rétablit la sensibilité à Zamilon. En outre, la région MIMIVIRE présente les fonctions enzymatiques caractéristiques (nucléase et hélicase) permettant la dégradation des acides nucléiques étrangers. MIMIVIRE, un système de défense antiviral, représente donc bien une immunité contre l’infection par les virophages.
Êtres vivants?
Les caractéristiques observées chez les virus géants attestent d’une évolution génétique classique, similaire à celle subie par les autres microbes , via l’incorporation dans le génome de parasites viraux (virophages), la présence d’éléments d’ADN mobiles (transpovirons, polintons) et des transferts latéraux de gènes. Cela fait-il d’eux des membres du monde vivant?
Sur la question, les biologistes sont encore divisés. Il n’est, en premier lieu, pas si facile de définir ce qu’est un être vivant. Suivant le paradigme actuel, la vie est une propriété de la cellule et requiert la mise en œuvre coordonnée de cinq systèmes bien définis : l’appareil de division cellulaire, l’appareil de réplication (copie) du génome, l’appareil de transcription du génome (lecture de l’ADN vers l’ARN), l’appareil de traduction (traduction des séquences d’ARN en protéines effectrices) et un métabolisme, permettant à la fois de fournir aux appareils sus-cités les briques, les matériaux (acides aminés pour les protéines, nucléotides pour l’ARN et l’ADN) et l’énergie nécessaire aux synthèses (via l’ATP).
En 1953, André LWOFF a énoncé les trois caractères fondamentaux faisant des virus des entités originales au regard de ce paradigme :
– Les virus ne contiennent qu’un seul type d’acide nucléique (ADN ou ARN) qui constitue le génome viral, contrairement aux organismes cellulaires ‘typiques’ qui contiennent les deux.
– Les virus reproduisent seulement leur acide nucléique, alors que les microorganismes sont reproduits par le biais de la copie de l’intégralité de leurs constituants. Ainsi, durant leur croissance, l’individualité de l’ensemble du microorganisme (de tous ces constituants) est maintenue, ce qui se matérialise lors de la fission (division) binaire. Cette dernière n’existe pas chez les virus.
– Les virus sont doués de parasitisme intracellulaire absolu. Ils ne possèdent pas les enzymes permettant de produire l’énergie nécessaire à ses biosynthèses. Les particules virales ‘inertes’ (les virions) ne présentent aucune activité métabolique. En outre, les virus utilisent les ribosomes (‘usines’ productrices de protéines) de leur cellules hôtes.
Ces trois caractères ont donc placé les virus en marge du monde vivant. Mais, la découverte que les virus géants possédaient plus de gènes que beaucoup de microorganismes cellulaires a remis en question ce modèle. Son génome contient en effet bien plus que le plan de construction des particules virales et les virus ne peuvent peut-être pas se définir seulement par l’observation de ces dernières. Ces résultats préfigurent-il une nouvelle façon d’envisager le monde vivant ? Peut-être…
MIMIVIRE is a defence system in mimivirus that confers resistance to virophage.
Giant viruses: The difficult breaking of multiple epistemological barriers. Jean-Michel Claverie, Chantal Abergel, Studies in History and Philosophy of Biological and Biomedical Sciences. 2016.
http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1369848616300097
Pingback: La bactérie, le virus, l’araignée | Ricochets