Je ne soupçonnais pas l’existence de la plante Aspidistra elatior avant de découvrir le travail de deux chercheurs japonais Kenji Suetsugu et Masahiro Sueyoshi publié le 14 Novembre dans la revue Ecology. C’est bien dommage. Elle mérite mieux que l’indifférence (ou le mépris). Ce billet vient réparer cette injustice en quelques mots. Sans trop avoir réfléchi à la question et seulement parce qu’on les avait observé à proximité de leur fleurs, on pensait qu’elles étaient pollinisées par les limaces et les amphipodes (des petits crustacés). Propriété plutôt surprenante. Elle est en faite erronée. L’observation menée très récemment a montré qu’elle était en fait pollinisées par des insectes qui se nourrissent normalement de champignons.
Les Aspidistra elatior poussent naturellement à Kuroshima, une île du Sud du Japon. C’est aussi une plante d’intérieur, très à la mode au XIXème siècle et tombée un peu en désuétude aujourd’hui. Elles était recherchée pour ses feuilles d’un beau vert foncé et sa robustesse (les anglais l’appellent “the cast iron plant” ou « plante en fer forgé ». Ses fleurs sont très discrètes et beaucoup moins connues des amateurs. Pourpres et charnues, elles éclosent tout juste à la surface du sol, ce qui peut leur donner l’aspect de champignons.
Nous avons évoqué quelques exemples de pollinisation réalisée par les insectes (et des mécanismes de co-évolution qui y sont habituellement associés) : Le choix du bourdon ; L’abeille, la mouche et la fleur…
Et il est vrai que les insectes sont des pollinisateurs très courants des plantes à fleurs. Celles qui utilisent d’autres animaux font figure de bizarrerie (à l’image de certaines Banksia australiennes visitées par les opossums ou de certaines fleurs de bananiers par des chauves-souris).
On a souvent vu les limaces visiter les fleurs de Aspidistra. Il n’en fallait pas plus pour imaginer qu’elles participaient à sa pollinisation. Sans preuves réelles. Il est fort probable que les limaces se contentent de les dévorer sans leur être en quoi que ce soit utiles.
Les chercheurs japonais ont donc mis en place un protocole d’observation plus rigoureux. Pendant deux ans, ils surveillent jour et nuit les fleurs dans leur habitat naturel et notent les animaux qui les visitent. Les seuls visiteurs réguliers sont en fait des insectes fongicoles (des petits moucherons minuscules, facilement cachés pour un oeil trop discret). Ils fusent vers le centre de la fleur où des masses de pollen s’attachent à leur corps avant qu’ils ne repartent, pour visiter une autre fleur. Voilà donc de vrais pollinisateurs!
Les chercheurs pensent probable que la morphologie des fleurs de Aspidistra, rappelant les champignons, attire les insectes qui normalement s’en nourrissent. La fleur se pare en plus d’un enivrant parfum de musc. Les insectes pourraient ainsi être trompés doublement, par la forme et par l’odeur. Un nouvel exemple d’adaptation et de co-évolution?
Parfois, une fleur nous mène là où on ne l’imagine pas….
Et vive l’Asplidistra!, (Keep the Aspidistra Flying) est un roman de Georges Orwell paru en 1938. L’Asplidistra y symbolise le confort (et le conformisme) bourgeois auxquels le héros Gordon Comstock refuse de se laisser aller.
En recherchant un peu, on trouve l’Asplidistra mentionnée plusieurs fois dans les chroniques qu’Alexandre Vialatte a rédigé pour La Montagne.
En voici un exemple :
« Lorsque j’étais enfant, on me traînait chez de vieilles dames qui me partageaient un gâteau sec. De leur côté elles buvaient un petit verre de malaga en se torchant la moustache du revers de la main, la dernière gorgée avalée. Je ne puis dire combien je souffrais dans ces endroits crépusculaires, où je devais passer deux heures sans un mouvement au pied d’une laitue exotique qui portait le nom d’Aspidistra. Mais c’est à ce prix que survivent les civilisations. »
Il semble bien, là encore, que la plante matérialise l’ennui des intérieurs trop étriqués.
Les chercheurs japonais lui rendent donc ici doublement justice. Ils ont rétabli la vérité de sa pollinisation. Et, à travers sa fleur enfin mis en lumière, ont donné un peu de panache et d’originalité à une plante que l’on voulait banale jusqu’à l’ennui.
Références (scientifiques)
Subterranean flowers of Aspidistra elatior are mainly pollinated by not terrestrial amphipods but fungus gnats. Kenji Suetsugu et Masahiro Sueyoshi. Ecology, 14 novembre 2017.
http://www.kobe-u.ac.jp/research_at_kobe_en/NEWS/news/2017_11_15_01.html
Moi aussi, je ne soupçonné pas aussi leur existence. Ces fleurs sont d’une beauté tellement rare.