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L’histoire de l’homme et de son alimentation offre de très beaux exemples d’évolution génétique, de sélection et d’adaptation. Je vous ai récemment présenté une des deux faces du problème : les hommes se sont adaptés à leur alimentation. Des mutations génétiques ont été sélectionnées pour leur permettre de consommer telle ressource particulière prodiguée par leur environnement. Ainsi en est-il des inuits et de leur capacité à consommer des viandes très riches en acides gras, presque exclusivement, tout en étant protégés de risques éventuels de maladies cardiovasculaires (voir l’article « Dis-moi ce que tu manges… »).

L’actualité scientifique me permet de vous présenter l’autre face de l’histoire. L’homme a, en domestiquant certaines espèces vivantes, favorisé et accentué certains de leur traits. Des mutations génétiques ont été sélectionnées permettant la cohabitation de ces espèces et de l’homme et leur adaptation à l’utilisation qui en est faite. Ainsi en est-il des blés qui ont connu une forte évolution depuis leur premier lien avec l’espèce humaine.

L’article publié par une équipe française (CNRS, Orsay), dans la revue Current Biology (Current Biology 25, 1–8, September 24, 2015) présente un modèle un peu moins connu et toutefois très évocateur de ces évolutions. Il met la lumière sur le champignon Penicillium. Un des membres de cette famille, Penicillium notatum, est célèbre pour être à l’origine de la découverte de la pénicilline et des antibiotiques par Alexander Fleming. Penicillium roqueforti et Penicillium camemberti, ont, quant à eux, plus servi la gastronomie que la médecine. Comme leur nom le suggère à juste titre, ces deux espèces de champignons participent à la production de deux de nos plus célèbres fromages. P. roqueforti est la moisissure responsable de la coloration bleu-vert du roquefort, P. camemberti produit le feutrage blanc tapissant la croûte du camembert. Domestiqués et sélectionnés par les hommes pour se développer sur du fromage, ils se sont adaptés à cet habitat particulier. Cela implique des modifications morphologiques, la production de substances aromatiques, la capacité à consommer les lipides et les protéines du lait, une capacité à pousser à des températures basses, dans un environnement riche en compétiteurs bactériens et fongiques. Les auteurs, en comparant les génomes de dix espèces de Penicillium dont ces deux espèces domestiquées, ont montré que ces adaptations sont associées à des modifications génétiques de large échelle.

En effet, les génomes de P. roqueforti et P. camemberti se démarquent par la présence de sept larges régions d’ADN. Plus que de simples mutations, il s’agit de portions entières d’ADN, régions qui portent plusieurs gènes du métabolisme énergétique leur permettant de croître dans cet environnement inhabituel pour les champignons qu’est un substrat lacté. Elles sont retrouvées dans des espèces éloignées généalogiquement de P. roqueforti et P. camemberti mais ne sont pas nécessairement présentes parmi leurs proches parents. Il semble donc qu’elles aient été acquises récemment, par un mécanisme moléculaire particulier : le transfert horizontal d’ADN (ainsi nommé pour le distinguer de la transmission verticale, par la reproduction, de générations en générations, du matériel génétique). Un individu d’une espèce donnée, placé en contact physique avec un individu d’une autre espèce, peut lui transférer une portion de son ADN, même s’ils sont généalogiquement éloignés et sans que l’un ne soit le descendant de l’autre. C’est une forme de court-circuit des mécanismes d’évolution, pouvant permettre des adaptations rapides. Dans le cas présent, ce transfert s’est produit de façon indépendante dans les deux espèces de champignons, leur conférant les mêmes capacités à prospérer sur les fromages. L’évolution peut parfois faire des bons. Il est bénéfique ici, mais les mêmes transferts horizontaux peuvent aussi se faire au détriment de l’homme, quand les intérêts des microorganismes ne coïncident plus avec ceux de l’espèce humaine (introduction de gènes de résistance, de toxicité).

Adaptive Horizontal Gene Transfers between Multiple Cheese-Associated Fungi, Jeanne Ropars et al.. Current Biology, 24 septembre 2015.

penicillium-roqueforti-kunkel-92384bg-wmhttp://www.cell.com/current-biology/pdf/S0960-9822(15)00996-3.pdf

http://www.cnrs.fr/inee/communication/breves/b138.html

https://www.genomeweb.com/applied-markets/genomic-study-explores-adaptations-found-fungi-used-making-cheese

http://www.nytimes.com/2015/09/29/science/that-stinky-cheese-is-a-result-of-evolutionary-overdrive.html

6 réflexions sur “Cette leçon vaut bien un fromage sans doute

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