
Avoir des écailles, ou ne pas en avoir… Pour la carpe, ce n’est pas une simple question de costume.
Une équipe de recherche issue de laboratoires français, hongrois et malgaches a étudié l’évolution de la carpe miroir, sélectionnée pour avoir moins d’écailles, après qu’elle ait relâchée à Madagascar (il y a cent ans). Ils ont observé une évolution à rebours : les carpes redevenues sauvages ont retrouvé des écailles. L’article publié dans Proceedings of the Royal Society, en décrit l’origine génétique.
Depuis qu’elle a été introduite en Europe au Moyen-Âge, les moines, dans le but de faciliter le travail de préparation des animaux avant consommation, sélectionnent des carpes communes de manière à ce qu’elles aient moins d’écailles (… ne pas oublier que Gregor Mendel, le père de la génétique, croisa les petits pois dans son monastère Saint-Thomas de Brno ou que la « Clémentine » issue du croisement naturel d’une fleur de mandarinier et du pollen d’oranger, fût ainsi baptisée par la société d’horticulture d’Alger en l’honneur de son créateur, le père Clément Raimbault). L’entreprise est un succès et, de générations en générations, ils finissent par obtenir des carpes presque entièrement privées d’écailles (qu’ils appellent, pour évoquer la surface réfléchissante de leur peau, « carpes miroir »). On sait maintenant que cette sélection a porté sur le gène fgfr1a1, muté chez les individus dépourvus d’écailles.
En 1912, les européens introduisent des carpes miroirs à Madagascar où elle sont relâchées en milieu naturel pour fournir une ressource alimentaire aux habitants. Alors que les eaux malgaches étaient jusqu’alors vides de carpes, l’opération est un succès et les poissons introduits prospèrent dans ce nouvel environnement. Mais, dès les années 1950, on rapporte une réversion de l’aspect des carpes : elles deviennent de plus en plus écailleuses. Quels mécanismes évolutifs et génétiques sont-ils en jeu?
Pour répondre à cette question, les chercheurs ont capturé environ 700 spécimens de carpes malgaches et ont conjointement étudié l’aspect de leur peau et leur ADN. Environ 65 % des carpes récoltées étaient entièrement couvertes d’écailles (à l’image des carpes originelles, avant la sélection faite par les moines). Pourtant, cela ne correspond pas à une réversion simple de la mutation initiale : elles portent toutes encore la mutation fgfr1a1. Ce sont ici plusieurs autres gènes qui entrent en jeu. Selon les auteurs de l’étude le trait serait sélectionné parce que les écailles offrent une meilleure protection contre les parasites et les prédateurs.
Cent ans, ce n’est pas plus de quarante générations de carpes! Cette étude s’ajoute ainsi à la liste de celles qui illustrent la rapidité avec laquelle les processus évolutifs peuvent se mettre en place (voir Papillons noirs, papillons blancs ; Œuvre au noir ; Cucurbita, mortelle amertume ; Cette leçon vaut bien un fromage sans doute; Dis-moi ce que tu manges… ; Celle qui faisait des transgènes sans le savoir…).
http://rspb.royalsocietypublishing.org/content/283/1837/20160945
http://phys.org/news/2016-08-carp-rapid-de-evolution-scales.html
Illustrations
Katsushika Hokusai. L’initiation à la transmission de l’essence des choses. La Manga de Hokusai (Denshin kaishu Hokusai manga).
La déesse de la compassion Kannon (Avalokiteshvara, en sanskrit) debout sur le dos d’une carpe géante
15 volumes, 1812-1878.
Livre illustré de gravures sur bois imprimées en deux teintes. 227 x 155 mm
Katsushika Hokusai. Deux carpes.
Ère Tempō, an II (1831), Estampe nishiki-e, format uchiwa-e, 23,2 x 28,7 cm.
Paris, Musée national des arts asiatiques – musée Guimet
© Rmn-Grand Palais (musée Guimet, Paris) / Thierry Ollivier.
http://expositions.bnf.fr/japonaises/albums/manga/index.htm
http://www.guimet.fr/fr/expositions/expositions-passees/hokusai–laffole-de-son-art–dedmond-de-goncourt-a-norbert-lagane
Andô Hiroshige. Carpe. 1797-1858, Estampe Japonaise 22.7 x 34.7 cm.
http://expositions.bnf.fr/japonaises/arret/08.htm
Ecrits sur une écaille de carpe
Werner Lambersy
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