Il suffit d’un gène pour rendre les papillons blancs, noirs. Les résultats scientifiques, même complexes, tiennent parfois en peu de mots…
Le gène dont il est ici question se nomme cortex et fait l’objet de deux articles publiés dans le même numéro de Nature, le 2 juin. Le premier a démontré qu’une modification d’une portion de ce gène suffit à rendre la phalène du bouleau (un papillon de nuit) entièrement noire. Le deuxième que des variations génétiques de cortex permettent au papillon Heliconius (comestible) de mimer les décorations des ailes des espèces voisines toxiques et de repousser ainsi les prédateurs.
Il était une fois, en Angleterre, en 1848…
L’histoire de la phalène du bouleau (Biston betularia) est un cas d’école, servant très souvent de modèle pédagogique pour expliquer l’évolution, la sélection, l’adaptation. En voici quelques mots (et pour plus de détails il vous suffira de faire une recherche avec les mots clé phalène et évolution pour trouver une multitude de références sur la question…). Les phalènes du bouleau sont naturellement blanches mouchetées de noir (forme typica). Des naturalistes anglais du XIXe siècle ont observé l’apparition de formes entièrement sombres de phalènes, qu’ils ont nommées carbonaria. Ils l’ont associé aux changements environnementaux liés à la Révolution Industrielle : la fumée de charbon dépose une poussière noire partout y compris sur les troncs de bouleau où reposent, normalement camouflées, les phalènes. Dans un environnement noirci par le charbon, les phalènes noires deviennent invisibles, alors que les formes claires (typica) se distinguent facilement, et sont les cibles privilégiées des oiseaux prédateurs. Générations après générations, les formes carbonaria sont donc sélectionnées (elles survivent plus longtemps et se reproduisent plus efficacement). Si bien qu’en 1970, elles représentent presque 99 % des phalènes dans certaines régions industrielles. Lorsque la pollution de l’air décroît à la fin du XXe siècle, les écorces de bouleau s’éclaircissent, rendant de nouveau fragiles les formes carbonaria. Elles perdent alors leur avantage et sont maintenant rares.
Et c’est ainsi qu’apparaît cortex..
La dynamique des populations de phalènes du bouleau offre donc un exemple particulièrement édifiant des mécanismes de l’évolution et de la sélection naturelle (apparition de variants, sélection par l’environnement, lui même changeant). Les causes moléculaires de la variation restaient cependant inconnues.
Des études à l’échelle des génomes de différentes espèces de phalènes ont récemment (en 2011) permis d’identifier une région candidate. Restait à identifier précisément le gène responsable de la variation. En comparant les ADN de formes carbonaria et typica, les chercheurs ont isolé une mutation associée à la forme noire. Il s’agit de l’insertion d’un fragment d’ADN long de 21 925 bases au milieu du gène cortex. Elle contient plusieurs copies de séquences appelées éléments transposables (ou « gènes sauteurs »). Ces petits fragments d’ADN sont comparables à des virus et se déplacent dans le génome en changeant de position, se recopiant, s’insérant dans un autre endroit. Ils sont sont donc un facteur important de diversification génétique. Ici, le gène sauteur s’est introduit dans une région non traduite en protéines de cortex (un « intron ») : la protéine produite a donc une séquence normale, sauvage, mais son taux d’expression est modifié. D’après les calculs, le premier gène sauteur se serait introduit dans cortex en 1819 environ, en accord avec les premières observations historiques, quelques décennies plus tard, de la forme carbonaria.
Une seconde étude vient corroborer le rôle de cortex dans la coloration des ailes de papillons. Des chercheurs de l’université de Sheffield ont comparé les génomes d’une quarantaine d’espèces de papillons du genre Heliconius, certains présentant une tâche jaunes sur les ailes, les autres non. Ils ont ainsi mis en évidence que les variations génétiques (cette fois-ci ponctuelles, à l’échelle d’un seul nucléotide, en génétique, on parle de SNP pour single nucleotide polymorphism) associées à la présence de la tâche jaune sont localisées sur le gène cortex.
Contrôler les divisions cellulaires?
Cette double découverte ferait ainsi de cortex un « point chaud » de sélection naturelle. Comment agit-il? Rien n’est encore prouvé, mais on le sait impliqué dans la croissance et la division cellulaire. Or chez les papillons, les couleurs des écailles (les structures colorées qui constituent les ailes) sont déterminées par le moment de leur mise en place. Les écailles jaunes, blanches, et rouges apparaissent en premier, les noires plus tard. Il est donc fort probable que la quantité de protéine cortex (et donc le niveau d’expression de son gène) modifie la dynamique de développement des écailles et donc leur couleur.
L’histoire est donc (presque) complète.
Il est toujours fascinant de voir la science s’écrire lentement, sur plusieurs années, sur plusieurs siècles. Parmi les observations d’hier, il en est sûrement encore beaucoup que les expériences menées aujourd’hui permettront de comprendre, demain.
Références
The industrial melanism mutation in British peppered moths is a transposable element. Arjen E. van’t Hof et al. Nature. June 02, 2016.
The gene cortex controls mimicry and crypsis in butterflies and moths. N.J. Nadeau et al. Nature. June 02, 2016.
http://www.nature.com/nature/journal/v534/n7605/full/nature17951.html
http://www.nature.com/nature/journal/v534/n7605/full/nature17961.html
https://www.sciencenews.org/article/jumping-gene-turned-peppered-moths-color-soot
Illustrations
M.C. Escher, Les papillons, 1950.
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