… où il est question de la multiplication des espèces de chevaux (plus précisément du genre Equus), il y a de cela quelques 10 millions d’années…
Les méthodes d’études modernes (en particulier parce qu’elles donnent accès à l’ADN des espèces du passé) permettent de reconstruire la diversité des espèces dans le temps et de dessiner des arbres de parenté. À ce sujet, voir l’ancien billet, S’il vous plaît… dessine-moi un arbre. Ces phénomènes de diversification sont particulièrement dynamiques. Des espèces apparaissent (on parle de spéciation), d’autres disparaissent. Mais les fréquences avec lesquelles apparitions et disparitions s’observent ne sont pas constantes dans l’histoire de la vie. Il est des périodes où le nombre de nouvelles espèces augmente rapidement (spéciation accélérée, ou diversification rapide) et des périodes de crise qui voient de nombreuses espèces disparaître.
Le plus souvent, lorsque de nombreuses nouvelles espèces apparaissent dans de courtes périodes de temps, c’est par l’évolution de nouveaux traits offrant une adaptation particulière à l’environnement. Je vous avais parlé d’un exemple classique de ces mécanismes dans le billet (déjà ancien) Faire du neuf avec du vieux : la grande diversité des formes de becs chez les différentes espèces de pinsons des Galápagos (étudiée par Darwin lui-même) a été associée à une diversification des régimes alimentaires.
La diversité des espèces d’équidés ne semble pourtant répondre pas à cette règle. Une étude récente, menée par une équipe de paléontologistes espagnole et argentine (Departamento de Paleobiología, Museo Nacional de Ciencias Naturales, Madrid) et publiée dans le journal Science le 10 février propose que si des changements de l’environnement ont été à l’origine de l’évolution des chevaux cela c’est produit sans réelle adaptation morphologique.
Les auteurs ont utilisé des méthodes d’analyse phylogénétique pour évaluer les relations entre les taux de spéciation (vitesse d’apparition de nouvelles espèces) et l’évolution de la taille corporelle et de la morphologie des dents, pendant la radiation des espèces de chevaux du Néogène et du Quaternaire. Ils ont ainsi analysé 138 espèces (7 espèces actuelles et 131 espèces disparues) et construit un arbre évolutif (voir S’il vous plaît… dessine-moi un arbre) balayant environ 18 million d’années.
Ils s’attendaient à mettre en évidence des phénomènes de radiation évolutive (ou encore radiation adaptative : évolution rapide, à partir d’un ancêtre commun, d’un ensemble d’espèces caractérisées par une grande diversité écologique et morphologique, chaque nouvelle espèce étant adaptée à une niche écologique particulière) . Selon ce modèle, les chevaux auraient évolué plus vite dans les nouveaux paysages de prairie en Amérique du Nord (apparus il y a 18 millions d’années), développant des dents capables de résister à la plus grande usure associée avec un régime dominé par l’herbe. Ils seraient aussi devenus plus grand pour digérer plus efficacement cette source de nourriture de piètre qualité et pour se protéger des prédateurs dans un environnement ouvert. Pourtant les résultats observés vont à l’encontre de ce modèle. Les taux d’évolution de la taille ne diffèrent pas beaucoup dans l’arbre de parenté construit, quelque soit la zone de l’arbre étudiée, qu’elle présente un taux de spéciation bas ou élevé. Et même, les taux de variation des caractéristiques des dents sont en fait plus bas dans les sections de l’arbre présentant des taux de spéciation plus élevés. Ainsi, contre toute attente, la morphologie des dents et la taille corporelle n’ont pas changé de façon drastique durant ces périodes de spéciation rapide.
La diversification se serait accélérée à deux autres reprises, quand la variation du niveau de la mer a permis la migration des espèces de chevaux de l’Amérique du Nord vers l’Eurasie et l’Afrique, il y a 11 et 4 millions d’années. Et là encore, cette diversification s’est produite sans qu’il n’y ait de modifications très importantes de leur apparence.
Ces périodes de diversification accélérée ne sont donc pas corrélées avec des explosions rapides de l’évolution des phénotypes. Mais, à quoi donc peuvent-elles être associées?
Selon les auteurs, ces nouvelles espèces de chevaux sont écologiquement très similaires. Ainsi, ce n’est pas une multiplication des rôles écologiques qui est ici la principale force évolutive. Une hypothèse serait que les prairies nord-américaines étaient tellement riches qu’elles fournissaient assez de nourriture pour différentes espèces, sans que chacune d’elles n’aient à développer des traits leur donnant un avantage (contrairement à l’exemple des pinsons des Galápagos, chez qui la diversification des formes de bec permet à chaque espèce la consommation d’une source alimentaire différente et donc le partage des ressources). En outre les changements environnementaux auraient pu produire des écosystèmes de type mosaïque, très fragmentés, où des populations de chevaux avec des besoins et des adaptations pourtant similaires pourraient avoir évolué de façon isolée les unes des autres jusqu’à l’apparition de nouvelles espèces certes différentes (génétiquement) mais avec des apparences identiques.
Ce scénario pourrait, selon les auteurs, ne pas être spécifique des chevaux. L’adaptation radiative ne serait peut-être pas la règle absolue que l’on imaginait. Les mécanismes de l’évolution offrent ainsi un champ de recherches encore fécondes. Les outils moléculaires et informatiques permettent de tester différents modèles, de confirmer, infirmer ou préciser les hypothèses de travail.
Références
Decoupled ecomorphological evolution and diversification in Neogene-Quaternary horses. J. L. Cantalapiedra et al., Science 10 Feb 2017.
http://science.sciencemag.org/content/355/6325/627
https://www.naturkundemuseum.berlin/en/pressemitteilungen/new-look-horse-evolution
https://www.sciencenews.org/article/horse-evolution-bucks-evolutionary-theory
Images
Mauricio Anton. (« paléo-artiste »)
Trois espèces de Hipparion, ayant coexisté il y a environ 8 millions d’années sur la Péninsule ibérique.
https://mauricioanton.wordpress.com/
Théodore Géricault
Les croupes. Huile sur toile – Collection particulière.
Tête de cheval blanc. Huile sur toile – Paris, musée du Louvre.